l'Essor n°16019 du - 2007-08-24 08:00:00
http://www.essor.gov.ml/cgi-bin/view_article.pl?id=16442
Ces femmes vivant dans l'attente aléatoire de leur mari parti à l'aventure sont de plus en plus nombreuses dans notre pays
Après sept ans de mariage, Djénéba Kamaté vit loin de son mari. Il est parti faire fortune sous d'autres cieux. La trentaine dépassée, la bonne épouse restée au pays est sur le point de perdre tout espoir. Cette mère de famille inconsolable raconte son calvaire, les yeux remplis de larmes. "Cela fait sept ans que mon mari m'a quittée en me laissant sur les bras deux filles
et un garçon. Il m'a appelée un jour pour m'informer qu'il se trouve en Espagne", dit-elle. Au cours des premiers mois après son exil son époux lui envoyait de l'argent. Les mandats se sont espacés au fil du temps. Et aujourd'hui elle ne reçoit plus rien.
La malheureuse Djénéba aurait perdu tout contact avec son mari. C'est l'enfer que vivent désormais cette battante et de ses rejetons. Le pire est la torture morale qu'elle endure. Périodiquement des rumeurs font état de l'emprisonnement de son époux ou de son départ pour une autre destination inconnue. Actuellement Djénéba se démêle comme un beau diable pour satisfaire les besoins familiaux. "Je travaille en tant qu'infirmière dans un centre de santé pour assurer l'entretien de mes enfants et les autres dépenses sociales", raconte-t-elle. Elle avoue toutefois que les dépenses sont devenues un lourd fardeau à tel point qu'elle regrette son mariage.
ABANDONNÉS: Djénéba n'est pas un cas isolé dans notre société, où l'immigration a pignon sur rue depuis belle lurette. Les épouses dans l'attente aléatoire de leur mari sont de plus en plus nombreuses à Bamako comme à l'intérieur du pays. Commerçante de son état, Aminata Sogoba n'a pas revu depuis plus de 10 ans son bonhomme. Il est parti à "Bako". Il a franchi les mers pour s'installer en Italie. Elle vit dans la grande famille avec ses enfants et ses beaux parents. Elle ne sait plus où donner de la tête. Comme elle, ses enfants aussi souffrent de l'absence de leur père. "Ils réclament toujours leur papa surtout lors qu'ils voient leurs camarades en compagnie de leurs pères. Ils se sentent abandonnés. Cet état d'âme s'accentue les jours de fête", se lamente Aminata. Les soutiens des parents et des autres membres de la famille n'arrivent plus à consoler la progéniture de l'éplorée Aminata.
Il est avéré que les enfants dont les papas sont loin de la famille se sentent à tort ou à raison fragiles. La présence du père est essentielle dans l'éducation de l'enfant. Celui-ci est d'ailleurs fier quand papa le défend et le soutient dans des moments difficiles. Les enfants de Aminata ne supportent plus les railleries du genre: "si tu n'es pas content, demande à ton père de rentrer au pays. D'ailleurs je me demande si ce dernier t'aime. Sinon il n'aurait pas fait tout ce temps sans donner signe de vie".
Mme Samounou Kiki Sall est mortifiée par l'absence de son chef de famille émigré en Allemagne depuis 1995. Contrairement à Djénéba et Aminata, elle ne se résigne pas à attendre indéfiniment. Elle envisage donc de rejoindre son mari. L'épouse à bout de patience a informé son conjoint de son projet de voyage. Mais ce dernier ne veut pas en entendre parler. Le mari inconscient se fonde sur l'idée que nos sœurs une fois arrivée en Europe trahissent leurs maris après avoir pris goût à la vie occidentale. Alors il a interdit à sa femme Samounou de fouler le sol bavarois.
L'épouse esseulée explique que l'argent envoyé tombe dans les mains de ses beaux frères qui l'utilisent comme bon leur semble. "Mon mari ne s'occupe pas de moi comme il doit le faire. L'argent qu'il envoie est récupéré par un de ses frères", se plaint elle. Si on empêche Samounou de toucher directement l'argent envoyé par son mari, c'est parce que ses beaux frères ne lui font pas confiance. Une douce haine règne entre elle et ses beaux parents. Samounou regrette aujourd'hui d'avoir épousé un immigrant. Cette union a mis sa vie en retard. "Je ne peux même pas procréer puisque mon mari est loin de moi. Je suis devenue une frustrée", se plaint-elle.
Transportons nous à Kayes et rendons visite à Mme Astan Dramé dont l'époux s'est expatrié au Congo depuis 9 ans. "Mon mari est parti en me laissant un enfant sur les bras. Mais le comble est que je vis avec le jeune frère de mon époux qui me traite comme si j'étais son épouse", révèle-t-elle. Astan subit donc une cour assidue de la part de son beau frère qui croit avoir tous les droits sur elle. Le mari de Astan a été informé des frasques de son jeune frère. Mais il ne s'en soucie guère. Il se contente de lui seriner des mots doux au téléphone."Je ne peux pas revenir maintenant avant d'atteindre le but de mon voyage", lui aurait-il dit un jour au téléphone. Toutes ces femmes souffrent en silence de l'absence de leurs époux. Elles craignent de passer le reste de leur vie dans la solitude. Et dans des tourments sans fin.
Fatim TOURÉ